Guide pratique des 5 erreurs classiques en investissement value : courir après les actions « pas chères », négliger la qualité et l’allocation du capital, se laisser piéger par les belles histoires et sous‑estimer l’horizon de temps, avec des pistes concrètes pour les éviter à la Buffett et Graham.
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Introduction
L’investissement value, popularisé par Benjamin Graham (The Intelligent Investor) et repris par Warren Buffett (notamment dans The Warren Buffett Way et son Owner’s Manual pour Berkshire Hathaway), consiste à acheter des entreprises sous leur valeur intrinsèque, avec une marge de sécurité confortable, puis à les conserver longtemps.
Sur le papier, la stratégie paraît simple. Dans la pratique, même des investisseurs sérieux tombent dans des pièges récurrents. Cet article s’appuie sur plusieurs ouvrages de référence en investissement value (The Intelligent Investor de Benjamin Graham, The Little Book That Beats the Market de Joel Greenblatt, The Warren Buffett Way, l’Owner’s Manual de Berkshire Hathaway, The Broken Leg Deep Value Investment Strategies, Value Investor Insight, ainsi que The Value of Everything de Mariana Mazzucato) pour passer en revue 5 erreurs classiques et comment les éviter.
L’objectif n’est pas de prédire le futur, ni de promettre une surperformance garantie. Il s’agit plutôt de rendre visibles les étapes concrètes qu’un investisseur discipliné – ou un gérant d’actifs idéalement organisé – devrait suivre pour analyser une entreprise et construire un portefeuille rationnel. En théorie, le « job » d’un asset manager ressemble à un processus clair, structuré, proche de ce que nous décrivons ici. En pratique, la réalité du secteur est souvent plus désorganisée, plus opportuniste et plus influencée par les contraintes commerciales que par les bons principes.
1. Confondre Prix Bas et Valeur
Le piège des « actions pas chères »
L’une des idées les plus mal comprises de l’investissement value est de croire que « value = actions bon marché ». Un prix de marché faible (ou un PER bas) ne signifie pas automatiquement que l’entreprise est sous‑évaluée.
Benjamin Graham insiste dans The Intelligent Investor sur la différence entre prix et valeur intrinsèque :
- Le prix reflète l’humeur de « Mr Market » à un instant T.
- La valeur reflète les flux de trésorerie futurs de l’entreprise, sa solidité financière, la qualité de son management et de son avantage concurrentiel.
Sans travail sérieux sur la valeur intrinsèque, un titre « bon marché » peut être simplement une value trap.
Comment éviter cette erreur
En pratique, les investisseurs value les plus disciplinés :
- partent d’une analyse fondamentale (bilan, compte de résultat, génération de cash, structure de capital) ;
- vérifient que la qualité du business est au rendez‑vous (retour sur capital, avantage concurrentiel, pouvoir de fixation des prix) ;
- ne se contentent pas d’un seul multiple (PER, P/B) mais croisent plusieurs indicateurs.
Des approches comme la Magic Formula de Joel Greenblatt (The Little Book That Beats the Market) cherchent justement à combiner rentabilité du capital et prix raisonnable, pour éviter une chasse aveugle aux « daubasses ».
Dans The Value of Everything, Mariana Mazzucato rappelle aussi que la valeur n’est pas qu’un multiple de marché : elle est liée à la création de valeur réelle dans l’économie (innovation, productivité, utilité sociale), par opposition à la simple extraction de valeur. C’est un angle utile pour ne pas confondre décote boursière et vraie création de valeur.
2. Ignorer la Qualité du Management
Quand les chiffres ne suffisent pas
Un bilan solide et un multiple attractif ne garantissent rien si le management déploie le capital de manière destructrice : acquisitions surpayées, rachats d’actions au plus haut, endettement excessif, dilution des actionnaires…
Dans The Warren Buffett Way, plusieurs cas illustrent à quel point l’allocation du capital par le management est centrale :
- Une entreprise moyenne avec un excellent alloueur de capital peut produire des rendements remarquables.
- À l’inverse, une excellente entreprise confiée à une direction court‑termiste peut détruire beaucoup de valeur.
Que regarder concrètement ?
Les investisseurs value expérimentés passent du temps sur :
- les lettres annuelles de la direction aux actionnaires (ton, clarté, reconnaissance des erreurs) ;
- l’historique de répartition du capital (dividendes, rachats d’actions, investissement organique, M&A) ;
- la structure de rémunération (incitations alignées sur la création de valeur de long terme ou sur le cours à 12 mois ?) ;
- la transparence et la cohérence du discours au fil du temps.
L’Owner’s Manual de Berkshire Hathaway est un excellent exemple de ce que peut être une communication honnête et de long terme envers les actionnaires.
Ces vérifications sont typiquement ce qu’un gérant d’actifs devrait faire systématiquement avant de mettre un titre en portefeuille.
3. Ne pas Calculer la Marge de Sécurité
Le cœur de l’approche de Graham
La marge de sécurité est probablement le concept le plus important de tout l’arsenal de l’investisseur value. Graham la définit comme l’écart entre la valeur intrinsèque prudente d’une entreprise et le prix payé.
Ne pas exiger de marge de sécurité suffisante revient à :
- supposer que ses hypothèses sont toujours justes ;
- négliger les chocs macro, les erreurs de management, les disruptions sectorielles ;
- oublier que Mr Market peut rester irrationnel plus longtemps que prévu.
Des approches de deep value comme celles décrites dans The Broken Leg Deep Value Investment Strategies insistent sur l’achat d’actifs massivement décotés (net‑nets, actifs tangibles sous‑valorisés, situations spéciales) précisément pour reconstruire cette marge de sécurité.
Comment intégrer la marge de sécurité dans la pratique
En pratique, cela signifie :
- Estimer une valeur prudente : - scénarios conservateurs sur les marges, la croissance, les multiples de sortie ; - décote volontaire sur les valorisations issues de vos modèles.
- Exiger un rabais significatif sur le prix de marché (par exemple 20 à 40 % en dessous de votre estimation prudente).
- Rester patient·e : ne pas forcer les achats quand les bonnes affaires se font rares.
Les lettres d’investisseurs value présents dans Value Investor Insight montrent souvent ce travail de scénarios prudents, plutôt que des paris agressifs sur le « meilleur cas ».
Ici encore, nous décrivons ce que le processus devrait être dans un monde idéal. Dans la réalité, beaucoup de décisions sont prises sous la pression du calendrier, des reportings de court terme et des mouvements de flux.
4. Sous‑estimer l’Importance du Timing… et du Cycle
Value n’est pas synonyme de timing parfait
L’investissement value n’implique pas de timer le marché à la semaine près. Mais ignorer complètement les cycles économiques et sectoriels peut être coûteux :
- Acheter trop tôt des valeurs cycliques avant un ralentissement brutal peut prolonger la douleur pendant des années.
- Rester surpondéré en secteurs structurellement en déclin, sous prétexte qu’ils sont « pas chers », peut mener à une érosion lente mais continue du capital.
Plusieurs textes et études présentés dans Value Investor Insight soulignent que même des investisseurs très long terme tiennent compte :
- des régimes de taux d’intérêt ;
- de la dynamique des marges sectorielles ;
- du degré de pessimisme déjà intégré dans les prix.
Un timing raisonnable, pas de market timing extrême
En pratique, cela se traduit par :
- refuser d’acheter trop tôt des entreprises très cycliques tant que les excès n’ont pas été purgés ;
- éviter de concentrer tout son portefeuille sur un seul thème « à contre‑courant » ;
- accepter que la vitesse de revalorisation est incertaine, même si la thèse de valeur tient la route.
L’objectif n’est pas de prédire le prochain trimestre, mais de ne pas fermer les yeux sur les cycles majeurs qui influencent la vitesse de convergence vers la valeur intrinsèque.
5. Manquer de Patience et de Discipline
Le test réel n’est pas le modèle Excel
Les livres d’investissement value – de The Intelligent Investor à The Little Book That Beats the Market – rappellent tous une évidence inconfortable :
> La stratégie n’est efficace que si vous êtes capable de la suivre dans les moments désagréables.
En pratique, beaucoup d’investisseurs :
- abandonnent après 12 à 18 mois de sous‑performance relative ;
- modifient leurs critères au gré de l’humeur du marché ;
- multiplient les allers‑retours, transformant une philosophie long terme en trading de court terme.
Les études de portefeuilles réels publiées par des gérants dans Value Investor Insight montrent que même des stratégies value disciplinées peuvent connaître plusieurs années consécutives de sous‑performance avant de se rattraper brutalement.
Construire des garde‑fous comportementaux
Quelques pratiques issues de ces ouvrages et retours d’expérience :
- Formaliser une checklist avant chaque investissement (qualité du business, valorisation, marge de sécurité, thèse écrite).
- Limiter le turnover du portefeuille, sauf changement fondamental de la thèse.
- Mesurer sa performance sur des horizons de 3 à 5 ans, pas au trimestre.
- Tenir un journal d’investissement pour documenter les raisons d’entrée et de sortie.
L’objectif est de rendre la discipline plus forte que l’émotion, surtout pendant les phases où le marché semble donner tort à l’investisseur value.
Comment Mettre en Pratique ces Enseignements
Les ouvrages cités ici se complètent :
- The Intelligent Investor pose les principes fondateurs : Mr Market, marge de sécurité, distinction entre investir et spéculer.
- The Little Book That Beats the Market illustre une approche systématique simple (Magic Formula) pour appliquer ces principes à un univers d’actions.
- The Warren Buffett Way et l’Owner’s Manual montrent comment un investisseur exceptionnel applique ces idées en mettant l’accent sur la qualité du business et l’alignement du management.
- The Broken Leg Deep Value Investment Strategies explore des stratégies deep value plus spécialisées, pour des investisseurs prêts à accepter plus de complexité et d’illiquidité.
- Value Investor Insight offre un flux continu de cas concrets, de lettres aux investisseurs et de raisonnements détaillés.
- The Value of Everything de Mariana Mazzucato propose une réflexion macro sur ce qui constitue réellement de la création de valeur versus de la simple extraction de valeur, un filtre utile pour juger les secteurs, les modèles d’affaires et les politiques de retour aux actionnaires.
Concrètement, pour un investisseur ou un gérant qui cherche à professionnaliser sa démarche, ces étapes peuvent servir de trame de processus :
- Comprendre le business (modèle économique, avantage concurrentiel, rôle dans l’économie réelle).
- Analyser la qualité du management et son historique d’allocation du capital.
- Estimer une valeur intrinsèque prudente et définir une marge de sécurité minimale.
- Tenir compte des cycles et des régimes de marché pour calibrer la vitesse d’investissement.
- Mettre en place des garde‑fous comportementaux (checklist, journal, horizon de temps clair).
Ce canevas ne garantit ni de « battre le marché », ni d’éviter toutes les erreurs. Il décrit plutôt ce que le travail d’un asset manager devrait ressembler dans l’idéal : un enchaînement de décisions structurées, soutenues par des méthodes et des outils. Dans la réalité, les contraintes commerciales, la pression des clients, les modes de marché et l’organisation interne font que ce processus est souvent incomplet, raccourci ou appliqué de façon irrégulière.
Conclusion
L’investissement value n’est pas une astuce pour « battre le marché » à court terme, mais une discipline complète : analytique, stratégique et psychologique.
En évitant ces 5 erreurs – confondre prix bas et valeur, ignorer la qualité du management, négliger la marge de sécurité, sous‑estimer les cycles, manquer de patience et de discipline – tu te rapproches de l’esprit qui traverse les grands textes cités plus haut.
La technique (modèles de valorisation, screener, backtests) compte. Mais au fil des pages de The Intelligent Investor, The Warren Buffett Way, The Little Book That Beats the Market ou The Value of Everything, un fil rouge apparaît :
> La vraie différence se fait dans la façon dont tu réagis aux humeurs de Mr Market.
Les étapes décrites ici ne sont pas une recette magique ni une liste exhaustive. Elles offrent plutôt une boussole : une manière structurée de penser l’investissement et la sélection de titres, proche de ce que le métier de gérant d’actifs devrait être dans l’idéal, tout en restant lucide sur le fait que la pratique quotidienne est souvent beaucoup plus chaotique. C’est là que l’investissement value devient une stratégie durable, et pas seulement un slogan marketing.